Les (multi)propriétaires de biens immobiliers dans le collimateur du fisc

4 Mar 2020 FinanceFiscalitéJuridiqueNews

Les loyers privés pourraient dans certains cas être imposés à l’IPP au titre de revenus professionnel. Le fisc a de plus en plus tendance à se montrer impitoyable lorsque le comportement du contribuable ne semble plus être en accord avec celui d’un « bon père de famille »…

Les Belges ont une brique dans le ventre et nombreux sont les contribuables qui possèdent un ou plusieurs biens immobiliers. Un patrimoine bien utile pour assurer ses vieux jours, pour protéger ses enfants ou pour arrondir ses fins de mois.

Certains ont même fait de la location de plusieurs biens, plus ou moins nombreux, une activité très intensive. Mais l’administration fiscale commence à se cabrer et tend à considérer que dans certains cas, ces loyers doivent être considérés comme des revenus professionnels.

Une possibilité qui a été évoquée, le 14 janvier dernier par Thierry Litannie, avocat spécialiste en droit fiscal, devant le Cercle de Wallonie et la WLBA business association.

Tout est une question de quantité

Commençons par rappeler que les loyers perçus par une personne physique pour un immeuble donné en location à des fins d’habitation (ce que le commun des mortels appelle les loyers privés) sont imposés au titre de revenus immobiliers et soumis à un régime fiscal relativement avantageux (revenu cadastral indexé majoré de 40 %, diminué, le cas échéant, des intérêts d’emprunt). Nombreux sont évidemment ceux qui ont compris tout l’intérêt d’être taxés de manière forfaitaire sur base du revenu cadastral et non sur les loyers réels… Sans parler des perspectives alléchantes qu’offrent des plus-values très appréciables en cas de revente, dans un marché immobilier qui ne cesse de croître. Des plus-values qui, rappelons-le, sont exonérées, pour autant que la revente du bien intervienne plus de cinq ans après son acquisition.

Voilà pourquoi nombreux Belges sont ainsi propriétaires d’un bien qu’ils mettent en location, qu’ils considèrent comme un excellent investissement et qui leur rapporte un petit revenu mensuel. Le Législateur n’a aucune raison d’y voir malice.

Mais certains contribuables, plus rares, possèdent plusieurs biens qu’ils mettent en location. Un appartement, cinq appartements, dix appartements, plusieurs dizaines d’appartements, pour le fisc, ce n’est évidemment plus exactement le même scénario.

Le fisc peut en effet considérer que posséder plusieurs biens immobiliers s’apparente à une activité professionnelle. Et donc prendre la décision de taxer ces loyers jusqu’à 50 %.

« Quand on épluche les dernières décisions des cours et des tribunaux en la matière, on s’aperçoit que les juges n’hésitent pas dans certains cas à suivre l’administration dans une taxation à 50 % des plus-values immobilières mais aussi des loyers. Rien qu’en 2018, au moins trois cours d’appel ont rendu des arrêts dans ce sens « , souligne Denis-Emmanuel Philippe, fiscaliste chez Bloom Law, interrogé par Trends/Le Vif.

Si certains justiciables, plus chanceux, ont pu échapper à la taxation comme revenus professionnels, cela ne les a pas empêchés de subir une imposition des loyers et des plus-values dans la catégorie « fourre-tout » des revenus divers, au taux moins « punitif» de 33 %.

C’est quoi, un revenu professionnel ?

Mais, à partir de quel moment une activité immobilière relativement intensive de location et les revenus ainsi générés peuvent-ils être imposés à l’IPP au titre de revenus professionnels?

Toute la question est évidemment ici de définir ce que sont des revenus professionnels. Pour le code de l’impôt sur les revenus, le revenu professionnel est constitué par le bénéfice de toute occupation lucrative, fréquente et organisée entre elles. Une occupation professionnelle est donc un ensemble d’opérations fréquentes liées entre elles, qui par leur répétition, leur importance, leur volume et leur organisation confèrent à l’activité un caractère professionnel.

« Si l’administration arrive à démontrer que cette activité est à ce point développée et organisée, qu’elle revêt un caractère professionnel, elle peut taxer les loyers comme revenus professionnels et les plus-values comme plus-values professionnelles », poursuit Thierry Litannie.

Mais c’est l’administration fiscale qui doit juridiquement apporter cette preuve. Sur le terrain, l’appréciation des différentes situations semble varier fortement : « J’ai dans ma clientèle des heureux propriétaires de 200 kots à Louvain-la-Neuve vivant de leurs loyers qui n’ont jamais vu la tête d’un contrôleur, mais j’ai aussi des clients qui ont de petites dizaines d’immeubles et qui se débattent avec difficulté. Le facteur chance joue », précise encore Thierry Litannie.

Que dit la jurisprudence ?

La gestion d’un patrimoine privé est considérée comme acceptable par le fisc lorsque le comportement du contribuable semble être en accord avec celui d’un « bon père de famille » qui essaye, dans certaines limites et proportions, de faire fructifier et d’augmenter son capital. Pour que le fisc considère la gestion du patrimoine comme anormalement intensive, il lui faut récolter une multitude d’éléments, un faisceau d’indices qui va faire basculer le contribuable du bon ou du mauvais côté.

Généralement, les juges s’appuient sur des indices tels que la répétition et la fréquence des opérations immobilières, leur mode de financement (emprunt ou fonds propres), le recours à la publicité ou autre méthode commerciale, la complexité des opérations réalisées, l’importance des capitaux investis par rapport au patrimoine de l’investisseur. Cette appréciation peut évidemment varier d’un juge à l’autre.

Deux catégories de contribuables sont particulièrement visées par le fisc : ceux qui n’exercent pas de profession et ceux qui ont une profession liée de près ou de loin à l’immobilier.

Et demain?

Pour rajouter encore à l’inquiétude ambiante et au flou qui règne, on évoque de plus en plus la possibilité d’une taxation sur les loyers réels. « Les Néerlandais sont passés il y a 7-8 ans d’un système un peu semblable au nôtre à un système basé sur les loyers réels. Le marché immobilier a perdu 40 % en 6 mois puis s’est redressé mais cela a fait très mal », observe Thierry Litannie.

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